Debout sur le zinc « eldorado(s) »
Forcément. Avec un nom pareil, on croit connaître la musique… Mais 20 ans de carrière, cela mérite que l’on s’y penche un minimum. Surtout quand leurs chansons écrites en français, sur fond d’arrangements folk et aux fondations rock, ont foulé plus de 2 000 scènes (Cigale, Olympia, Zenith de Paris, festivals Printemps de Bourges, Solidays, Sziget…). Côté tarmac, les sept membres n’ont d’ailleurs pas à rougir avec leur quinzaine de pays au compteur (Belgique, Suisse, Canada, Russie, Madagascar…). Reste que leurs huit albums précédents conservent une même grammaire : la mélancolie.
Et quand on a 20 ans de tournées dans les doigts et que l’on a commencé au même âge, on sait déroger à ses principes. Facile d’être manichéen quand on n’a connu aucun compromis ! À 40 ans, l’horloge biologique est en route : on regarde les marmots grandir avec le doute comme éternel moteur... Une remise en cause salvatrice, sans jamais se départir d’optimisme. Car sans questionner ses certitudes, il n’y a pas d’évolution. Or c’est précisément ce qu’ont entamé les Franciliens : une prise de conscience.
La mue. Avec ce 9e album « eldorado(s) », enregistré au studio Ferber (Paris), Debout Sur Le Zinc a multiplié les révolutions intimes. Idéal pour un nouveau départ. Une nouvelle feuille blanche au livre jamais achevé. Pour preuve : la fin des pochettes dessinées, un nouveau manager ou encore le départ de deux membres (Christophe, guitare rythmique et chant ; William, contrebasse) remplacés par Thomas et – première présence féminine – Marie... En studio ? Edith Fambuena (Alain Bashung, Etienne Daho, Miossec…) à la réalisation ; Antoine Gaillet (Mademoiselle K, Julien Doré, M83…) au mixage. Ou comment agir sur la forme pour influer le fond.
Le résultat est un album tout en nuances, refusant les partis pris caricaturaux. Textes moins intimes mais plus ouverts/universels ; ton plus joyeux mais avec chutes pourtant pessimistes ; tempo plus soutenu mais sauvegardant quelques ballades ; enregistrement studieux mais concerts festifs ; album enregistré live mais réel soin apporté à la post-production ; ou encore attelage historique/nouveaux membres mais même unité sonore…
Alors, quoi : album du consensus ? Souci de plaire ? Plutôt un entre-deux, préférant les subtilités aux choix définitifs. Comme pour rappeler que dans tout drame subsiste un espoir. Dans toute fête, une réalité sociale. Miroir de la société, Debout Sur Le Zinc ne peut renvoyer qu’une image complexe plutôt qu’un avis contrasté.
Morceaux choisis. Si le groupe a souvent vu juste sur son époque, logique qu’il arrive à se raconter. L’utilisation du « je » dans les textes reste prépondérante. Essentielle, même. Car remettre en cause ses acquis et fondations n’empêche pas d’assumer. Prenez « Lampedusa », texte sur l’immigration clandestine. Ces morts qui en remplacent d’autres dans l’indifférence et dont le déclic a été trouvé après la lecture de « Eldorado » (Laurent Gaudé, Prix Goncourt 2004).
Autres exemples ? « J’ai vu la lumière », auto-satire de l’auteur sur nos hébétements idéologiques, dans une époque qui sait brouiller les pistes pour mieux séduire (la pochette en est un clin d’œil). Ou encore « La Pleureuse », sur la représentation féminine et ses devoirs insidieux, mélange d’esclavage physique et idéologique. L’actualité et l’Histoire ne manquent pas pour alimenter le propos…
Enfin, l’énergique « La Relève » traite des amours enfantines. Le plus pur. Celui qui laisse des stigmates et n’a pas encore l’inconstance de l’adolescence. Celui total, hors du réel et sans barrière sociale. Les cordes s’y confondent avec pudeur, offrant l’un des plus beaux moments de l’album.
La plupart des thèmes abordés auraient d’ailleurs pu être hurlés… Pas leur genre. Si la volonté était militante, croyez bien qu’ils y auraient été. Non, la démarche reste la même depuis le début : plutôt que prévenir, celle d’écrire pour guérir. Exprimer des ressentis et des instantanés, espérant qu’ils fassent écho. Comme une lecture à soi-même, sans penser aux autres. Et fuir l’autocensure, surtout.
Maintenant. Pensez-vous, après plus de trois ans d’attente, c’est la boule au ventre et la foule en tête que le groupe remonte sur le ring ! Comme pressé d’emprunter ce nouveau chemin. Avec l’envie des débuts et l’excitation retrouvée. Enfin.
Musiciens
Romain Sassigneux : guitares, chant, chœurs, clarinette, clarinette basse
Simon Mimoun : violons, chant, chœurs, trompette, piano
Olivier Sulpice : banjo, mandole, mandoline
Fred Trisson : accordéon
Cédric Ermolieff : batterie, xylo, tambourin, derbouka, choeurs
Marie Lalonde : guitares, Ukulélé, Choeurs
Thomas Benoît : basse, contrebasse, violoncelle