Publié par Longueur d'Ondes

Compte-rendu Festival de musique émergente 2016 (FME) en Abitibi-Témiscamingue

1-4 septembre 2016, Rouyn-Noranda (Québec).
14e édition. Esprit cool pour exigences musicales.



AMBITIONS : outil de soutien, de diffusion et de promotion d’artistes en développement local ou international (près de 160 pour cette édition), le festival se veut également moteur économique et touristique pour la région. Un bienfait pour les habitants, en particulier les plus jeunes, dont la ville d’environ 30 000 personnes est la capitale nationale du cuivre.

LÉGENDE : adolescent, Sandy Boutin (le fondateur) en aurait eu marre de faire la route pour aller voir des concerts à Montréal (près de 7h30 de trajet !). Ironie du sort, alors que l’événement accueille désormais près de 200 professionnels (dont 60 européens), il habite désormais la métropole...


IDENTITÉ : bande-annonce inventive en stop motion (animation image par image), totems Jos Dumulon en guise d’entrée, cabanons en bois pour les bars et la restauration (crabcakes, sandwiches porc/sirop d’érable/bourbon…), radio dédiée, expérimentations sonores dans la galerie locale (Patrick Bernatchez et Érick d’Orion), after-movie soigné, contre-édition hivernale… La grande force du FME est d’allier originalité et avant-gardisme dans une ambiance faisant l’impasse sur l’hystérie collective.

LIEUX : si la majorité des concerts est contenue au plein air (rue condamnée, place publique…) avec déclinaison en salles (ancienne église, cabaret, sous-sol du théâtre…), le festival sait développer l’ubiquité en poursuivant sa narration dans les marges. Jeu de piste quotidien, les Impromptus (secrets shows non signalés sur le programme) inondent ainsi les espaces décalés : embarcadère, banc public, vendeur de poutine, chambre d’hôtel, parc botanique, maison de retraite… avec mention spéciale pour la « pool party » de Bonsound. L’occasion de (re)voir un des artistes en condition premium.

FRÉQUENTATION : 34 000 entrées (25 000 en 2013) et près de 300 bénévoles (souvent très fiers et souhaitant échanger avec les visiteurs). Halte, cependant, aux éternels clichés hexagonaux ! Pas plus ici de chemises à carreaux et de « tabernacle » à répétition que de bérets-baguette à Paris… La pyramide des âges y est très métissée et il ne fut pas rare d’apercevoir quelques grands-mères headbanger…

MÉTÉO : ciel bleu radieux avec fort différentiel de température la nuit tombée. Les plus chanceux ont aperçu une aurore boréale…

TOP 10  : 1. Galaxie/Marie-Pierre Arthur (incroyable fusion entre l’énergie rock et cacophonique du sautillant Fred Fortin – également présent sous sa forme solo le lendemain – et la voix grésillante de l’ex-candidate de l’émission La Voix) ; 2. Avec pas d’casque (toujours cette constance dans l’écriture pour ces folkeux pourtant venus présenter leur dernier album) ; 3. Uubbuurruu (trip psyché-rock à l’ancienne) ; 4. Yonatan Gat (joute d’instruments et batteur fou pour free-rock en pagaille) ; 5. Mehdi Cayenne (s’il se laisse parfois emporter par sa fougue, le kid est toujours aussi à l’aise) ; 6. Tire le coyote (folk d’insoumission intérieure). 7. Dan San (dont l’exercice polyphonique, s’il reste hispterisement classique, prend son envol lorsqu’il supprime toute amplification, comme sur « Gone Home ») ; 8. Lakes of Canada (qualités et défauts du précédent, mais avec des breaks/montées) ; 9. Violett Pi (étonnant retour dans les 90’s, entre Axel Bauer, Liquido et... d’la gueulante, quoi) ; 10. Royal caniche (duo grunge foutraque, hilare et défoulant).

LES FRANÇAIS : Ludo Pin (folie douce, enfin) ; GaBLé (force tranquille, presque apatride) ; Samba de la muerte (électro tranquilou-sucré, mais néanmoins solaire) ; Boogers (dans sa formule itinérante, joyeusement loufoque).

OUI, MAIS : Québec Redneck Bluegrass Project (entre ranch benêt et taverne sympa) ; We are Wolves (trop homogène ?) ; Deuxluxes (look surjoué pour vieilles recettes rock’n’roll éculées) ; Half Moon Run (rock lisse, main dans les poches, qui mériterait d’exploser) ; UK Subs (honorables et intacts anciens combattants de l’Angleterre 70’s) ; Koriass (en hip-hop, rien ne sert de courir, il faut savoir gérer ses montées) ; Yann Perreau (pêche parfois pas facilité à l'image de
« La vie n'est pas qu'une salope ») ; Chantal Archambault (mignon, mais sans plus).

PROUESSES TECHNIQUES : parfois déroutant, le concert de La Colonie de vacances (les groupes Papier Tigre, Electric Electric, Pneu et Marvin répartis à chaque coin de la place publique avec la foule en son centre) n’en reste pas moins excitant par son approche de la musique instrumentale et déstructurée, attirant soit par le fond, soit par la forme. Quant à l’électro-folk des montréalais Dear Criminals, il a permis d’assister – ô joie – à notre premier show avec projections 3D. Ou comment David Paquin et l'UQàT (université) réussirent à réinventer l’hypnose de masse en nous laissant deviser quant au potentiel d’une généralisation…

PRIX : le Coup de cœur Télé-Québec a été attribué cette année au groupe Paupière (trio mixte et canadien contenant un des membres de We Are Wolves, également programmé). Preuve que le retour de la pop eighties, avec mélodies minimales à base de synthés et textes mélancoliques, est définitivement acté.


LE WHAT-THE-FUCK : la bataille de pancakes le premier soir (2h30), en pleine rue, entre pros/sales gosses… À moins que ce ne soit la douce euphorie due à la reprise de « Pour que tu m’aimes encore » de Céline Dion/Jean-Jacques Goldman par les sœurs Boulay ? Ou encore le déclenchement du détecteur de fumée lors du concert de Bernardino Femminielli, le Gainsbarre montréalais et son érotisme lettré avec paillettes et drapeaux américains ? On hésite.

LE MUST : la possibilité de pêcher, se baigner ou visiter (pour peu que l’on vous prévienne/invite…).

LA CITATION : « Pis rev’nez nous voir tantôt, là. C’est trop cute d’vous voir avec nous aut’, hein. » Une douanière de l’aéroport de Rouyn-Noranda.

IDÉE : même si cela en atténuerait l’importance de la découverte, pourquoi ne pas mettre en place un service SMS prévenant de la tenue des secret shows dès les premières notes jouées ?

PROCHAINE ÉDITION : 31 août-3 septembre 2017.


> Site web
> Rencontre avec la ministre Mélanie Joly

Photo : Louis Jalbert
Encore merci à Sandy Boutin pour son invitation (prise en charge transport/hébergement), à Pascale Charlebois pour ses visites et Lara Orsal pour son suivi.

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FOCUS : Krismenn & Alem

À propos de la révélation des Vieilles Charrues 2015, on se demande toujours si la greffe pourrait prendre en dehors de la Bretagne... Il faut avouer que le pitch hésite entre poilade et création sous sépia : un chanteur de gavotte (Krismenn) et le champion du monde de beatbox (Alem) avec seulement deux micros ? Hum. Le coup du moderne dans les vieux pots, les théâtreux en abusent déjà depuis longtemps...
Sauf que détrompez-vous : il y a une dimension old school inattendu dans cet hip-hop sur fond d’envolées électro minimale et de contorsions breizhoues. L’exercice est tribal, hors de tout artifice. Collégial. Et il faut entendre la foule hurler en chœur « Kreizh Breizh ! » en Abitibi-Témiscamingue
(sans doute un des plus beaux moments du festival) pour le croire... Preuve que, plus que le communautaire, la fierté des racines est universelle et communicative. Belle leçon entre héritage, métissage et apprentissage.
Que ce soit sur les réseaux sociaux (merci Route 164), en Impromptu sur le parking de Chez Morasse (« meilleure poutine du monde ») ou le lendemain dans une ancienne salle de cinéma (Le Paramount) avec lettres amovibles sur la façade, la foule est chaque fois conquise… La sincérité paie ?

Anecdote : Alem est passionné de Pokemon Go. À 30 secondes de la montée sur scène, il a réussi – sans tricher – à combattre un Pokemon exclusif à l’Amérique du Nord. De quoi expliquer son euphorie lors du concert.

 

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