10 contre-vérités sur l’industrie musicale
Préjugés, légendes urbaines, stéréotypes… Le milieu en regorge, lot classique des domaines à fantasmes que sont les secteurs artistiques. Question de jalousie, voire de mystères savamment entretenus. Sauf qu’à force d’assurance répétée, les rumeurs prennent vie sans jamais être déminées. Décryptage.
1 - Le piratage a une incidence sur les ventes de disque
Il s’agit probablement du mythe le plus féroce, entretenu régulièrement par des majors ou représentants d’ayant-droits. Sauf que de nombreuses études (université Paris XI, UFC Que Choisir, OCDE, ADAMI, Harvard Business School…), et portant sur de nombreux pays avec des typologies différentes (France, Canada, Hollande, Etats-Unis…), ont concluent sur un impact minime du partage de fichiers sur Internet.
Dernier en date : l’Union européenne, tout de même. Dans son rapport diffusé l’année dernière, réalisé auprès de 16 000 consommateurs et répartis dans cinq pays, l’étude montre que « la plupart de ce qui a été consommé illégalement n’aurait pas été acheté si le piratage n’avait pas été disponible. » Plus intéressant, il en ressort que 80% de ces pirates utilisent en parallèle une offre légale (streaming et/ou téléchargement payants).
Que si la musique est le bien culturel le plus consommé sur Internet (43%), la consommation illicite concerne surtout les vidéos/films (24%) et les séries tv (26%), reléguant la musique autour des 5%...
Mieux : « les clics sur les sites légaux d’achat auraient été plus faibles de 2% en l’absence de sites de piratage ». Idem pour les sites de streaming, pour lesquels le bénéfice est estimé à 7%. Sans établir une cause à effet, le piratage est en tout cas à enlever de la liste des principaux suspects. Qu’une forme d’équilibre semble s’être organisée.
Pourquoi n’en entendons jamais parler ? Question de lobbies.
2 - En France, les francophones vendent moins que les anglophones
C’est faux. Les quatre albums les plus vendus en 2013 ont été, par ordre décroissant : Racine carrée de Stromae (1,1 M€), Random Access Memories des Daft Punk, Subliminal de Maître Gims (respectivement + de 500 000 exemplaires) et La Boîte à musique des Enfoirés. Soit, un seul anglophone sur le podium, sachant en plus que 17 des meilleures ventes de l’année étaient squattées par des albums chantés en Français...
Le premier trimestre de 2014 fut en quelque sorte une répétition avec 8 francophones parmi les 10 meilleures ventes : Stromae, Les Enfoirés, Maître Gims, Indila, Florent Pagny, Fauve, Tal et Zaz. (oui, ça pique)
3 - Le streaming ne marche pas
Bien au contraire, même si ses chiffres sont davantage « encourageants » et qu’il ne constitue pas encore la martingale espérée. Le streaming est devenu, début 2014, le premier usage en ligne avec une croissance de 40%. Qu’il provienne de services financés par la publicité (+ 44%) ou d’abonnements (+ 38%), le secteur représente 17% du marché global, dépassant le chiffre d’affaires généré par le téléchargement légal.
Aujourd’hui, et malgré notamment une culture plus accrue du single (et donc un ratio de remplacement du support physique forcément non proportionnel), 2 millions de Français sont abonnés à une service de téléchargement payant et/ou de streaming. Un chiffre qui ne cesse d’augmenter et pourrait même exploser si un travail suffisant est mené autour des interconnexions (un seul compte en ligne, accessible depuis sa télévision, son smartphone, son ordinateur personnel, sa voiture, son poste de travail, etc.).
4 - Hadopi est en sommeil
Le bilan de 2012 était sans appel. Trois ans après sa création, la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet avait repéré 1,1 million fraudeurs (prévenu par un e-mail d’avertissement), 340 internautes avaient récidivé malgré les trois mises en garde et 14 dossiers avaient été transmis à la justice. Septembre de la même année, un premier internaute avait été condamné à 150 € d’amende pour avoir téléchargé un album de musique.
Depuis, le rapport Lescure – sur l’exception culturelle française dans le contexte numérique et remis en grande pompe au ministère de la Culture en mai 2013 – a pris la poussière. Certes, peu de propositions y étaient révolutionnaires, mais la plupart ne seront a priori pas suivi d’effet. Or, si l’Hadopi n’avait que pour mission la surveillance des échanges sur les réseaux, puis d’une « réponse graduée » allant de la lettre recommandée à l’amende (cf. la loi Création et Internet qui en a définit le statut), l’institution a choisi, depuis et sur sa seule initiative, de lancer – elle aussi – un chantier autour des évolutions du droit d’auteur.
Voilà donc un an qu’Hadopi planche sur une légalisation d’une certaine forme de piratage (« Rémunération proportionnelle du partage », soit l’adoubement de services pirates s’ils s’affranchissent d’une taxe. Une idée partagée, entre autres, par la Quadrature du Net, militants historiques anti-Hadopi… devenus source d’inspiration de l’institution.
5 - La France n’a aucun poids dans l’industrie musicale
L’intitulé est volontairement retors. Il n’empêche qu’une entreprise française contrôle bel et bien un tiers du divertissement mondial : Vivendi. A l’origine spécialisée dans les services aux collectivités territoriales (eau, transport et environnement) sous le nom de Compagnie générale des eaux, la multinationale hexagonale concentre ses activités autour d’Universal music, du groupe Canal+ et de l’opérateur télécom brésilien GVT. En 2014, en plus d’appartenir à l’indice CAC 40, Vivendi est ainsi le deuxième groupe de divertissement au monde – derrière The Walt Disney company – et l’un des principaux fournisseurs de contenus en Europe.
Au sein de sa filiale Universal music cohabite une multitude de labels : Island Def Jam, Geffen, A&M, Mercury, Polydor, Decca, Capitol, Blue Note, Motown… Soit, entre 30 et 38% du marché international (derrière Sony, puis Warner) et une place de n°1 de la musique enregistrée grâce au rachat d’EMI. Miley Cyrus, Madonna, Bob Marley, Elton John, Jay-Z, U2, Rihanna, Mylène Farmer, Lady Gaga… Tous sont passés par là. Reste à comprendre pourquoi la scène française n’a pas autant bénéficiée de cette emprise géographique sur le secteur.
6 - Les revenus des labels proviennent des ventes de disque
Les maisons de disque ont bien compris que pour freiner la baisse de leur chiffre d’affaires, il fallait se diversifier et multiplier les sources de revenus externes. Prenons l'exemple de Naïve. Pour le label français, le disque n'est une amorce déficitaire qu'équilibre les tournées. En plus d’une meilleure récupération des droits auprès des stations de radio, des lieux sonorisés ou des plateformes vidéo, le concert semble la piste la plus souvent privilégiée pour garantir un retour sur investissement.
Warner music, une des trois majors mondiales, a ainsi racheté Jean-Claude Camus productions en 2008. Sony, elle, a acquis Arachnée production. Enfin, Universal music est devenu propriétaire de l’Olympia (salle de concert), de BMG (édition musicale) et de Sanctuary (produits dérivés). Son président directeur général, annonçait déjà en 2004 que « plus de la moitié des profits [d’Universal music] ne dépende plus directement de la vente de cd. »
7 - Disquaires et sites web : unique canal pour la distribution massive
Hors initiatives du milieu indépendant ou d’artistes en émergence, de gros artistes internationaux ont choisi des modes de distribution alternatives. Partenariats juteux et exclusifs pour les uns, possibilité d’atteindre une cible de consommateurs éloignée des réseaux traditionnels pour les autres. Les dimensions politiques et mercantiles se chevauchent ainsi. Des exemples ? Le disque de Paul McCartney vendu uniquement en caisse de Starbucks, l’album Still Kool de Kool & The Gang distribué en France dans les paquets de lessive Bonux, le Black Ice d’AC/DC commercialisé dans les seuls magasins Wal-Mart aux Etats-Unis, ou encore, dernièrement, U2 squattant la bibliothèque audio de l’iPhone 6…
A ce titre, Prince est le grand champion : nouvel album offert à l’achat d’un billet de concert (Musicology, 2004), avec un hebdomadaire britannique (Planet Earth, 2007) ou vendu dans une seule chaîne de magasins (Lotusflow3r, 2009).
8 - Spotify rémunère mieux les artistes que Deezer
Les deux principales plateformes musicales, Spotify et Deezer, possèdent un catalogue de 15 millions de titres chacune. Mieux, elles ont su éditorialiser leur contenu au moyen de playlists et de radios. Reproches récurrents : la faible rémunération de ces services (environ 2€ pour 1 000 écoutes).
S’il est vrai que la monétisation est très variable suivant le pays d’écoute, le type de publicité et l’audience, le revenu moyen d’une écoute sur Deezer est de 0,01 €, contre 0,006€ pour Spotify, selon l’agence DBTH (notons que pour YouTube, la moyenne est d’environ 0,0004€…). Des chiffres datant de 2012, dont il faut prendre en compte la marge du distributeur – qui oscille entre 10 et 40% – avant reversement au producteur.
N’oublions pas cependant que les services de streaming ont pour but de fidéliser leurs utilisateurs et qu’un titre qui plait aura plus de chances d’être intégré à une playlist et, de fait, réécouté.
9 - YouTube n’est pas une radio
C’est faux. Ou disons que, si ça n’en était pas le but, la plateforme vidéo en a désormais la fonction. La musique est tout d’abord la catégorie la plus consultée et parmi les dix vidéos les plus vues dans le monde, neuf sont des clips musicaux. Ensuite, une étude de Nielsen montre qu’aux Etats-Unis, 64% des jeunes écoutent principalement la musique via YouTube. Que les recherches effectuées sur la plateforme sont davantage pour el son que pour l’image.
Même si les services de streaming sont moins développés outre-Atlantique et que les habitudes de consommation sont différentes, YouTube réussit ce grand écart entre tv et radio. Oui, le streaming possède plus de confort d’utilisation (meilleur encodage, portabilité…), mais être présent sur YouTube est encore considéré comme un acte promotionnel, un réflexe pour découvrir un artiste, facilité par son accès rapide.
A se demander, parfois, si le désintérêt de la télévision (française, par exemple) pour la scène émergente n’est pas aussi responsable de cet appétit numérique. A bons entendeurs.
10 - Radiohead et NIN sont l’exemple à suivre
Pas vraiment, en fait. Depuis quelques années, on voit de nouveaux business models arriver : le direct-to-fan (vente à la source avec diminution des intermédiaires), le pay what you want (disque vendu au prix défini par le consommateur) ou encore le crow funding (donation). Ok.
Radiohead a utilisé les deux premiers. Nine Inch Nails aussi, allant même plus loin en encourageant ses fans à remixer ses titres, filmer ses concerts et utiliser comme ils le souhaitent ces contenus de manière non lucrative. Pour ce dernier, les 800 000 transactions ont généré 1,6 million de revenus (contre 6 M€ de chiffres d’affaire pour Radiohead, sur un total de 1,2 M de téléchargements). Dans ces deux cas, on observe que la majorité n’a pas payé, ou peu, mais l’artiste possède désormais les coordonnées de chaque utilisateur... Des informations qui valent de l’or.
En conclusion, les deux groupes sont certes allés directement vendre aux consommateurs et ont consolidé leur carnet d’adresses, mais cela n’a pu être possible que grâce à une grande communauté de fans déjà existante. Sans infrastructure, communauté, connaissance et compétences, impossible d’imiter la démarche ou d’en espérer une importante levée de fonds. Radiohead et NIN ont bien révolutionné quelque chose : leur propre modèle. A chacun de trouver désormais le sien.
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