Gonzales (Vs Camille) : « Je ne crois pas en l'inspiration. »
Paris sous le crachin, un lundi matin. Rendez-vous donné à 9 heures. Heureusement, l'ambiance « chic & sexy » de l'hôtel Kube, avec ces canapés en fourrure et ces fauteuils-bulles, nous replonge dans la chaleur ouatée de la couette. Dandy gominé, pull col en V, les yeux encore encombrés de sommeil, Gonzales attend. Camille se fait désirer. Elle arrive désolée et emmitouflée. Thé vert pour l'une, café noir pour l'autre. Canada / France, match au sommet et première rencontre pour les deux artistes, qui se sont croisés sur un festival suisse sans oser s'aborder. Ils sympathisent, plaisantent, s'échangent des conseils. Les différences apparaissent avec la complicité. Prélude d'un ping-pong autour de la création et de la pop.
Tous les deux, vous portez une très grande attention à mettre en scène votre musique.
Camille : La pop, c’est plus que des chansons. C’est une globalité, un univers, un esprit autour des chansons. Je sélectionne et j’arrange les chansons en fonction de cette couleur musicale. C’est pour ça que je m’attache beaucoup à la production.
Gonzales : Pour moi, c’est une évidence : il ne faut négliger tous les à-côtés de la musique. Pendant des siècles, les artistes l’ont fait. Il y a le contenu - la musique, mais aussi le contenant, dont il ne faut pas se foutre. Respecter la musique, c’est aussi trouver son équivalent visuel, scénique et même philosophique. Ne pas le faire, c’est nier la communication. Ne pas construire un univers autour d’un album, c’est une insulte faite au public.
C : Si tu ne fais pas ce travail-là, on le fait à ta place et tu deviens un produit marketing. Et tant mieux, d’ailleurs : ça nous oblige à le faire. Je ne pense pas que Mozart se prenait la tête sur des couvertures de disques... (Rires)
G : Oui, mais il se prenait la tête pour savoir comment il allait se comporter à la Cour, comment il allait faire son entrée... D’ailleurs, son pote Salieri n’a pas fait ce travail de recherche. Il n’a pas osé. Il a fait la même chose que Mozart, mais il n’a pas construit d’univers autour de sa musique. Il pensait que la musique suffisait. Peut-être respectait-il trop l’acte de création pour le salir avec ces questions. Résultat : les gens se sont fait une image fausse de lui, celle d’un conformiste. Tout ça à cause de son manque d’audace.
Le français, l’anglais, ce sont des matières sonores indifférenciées ?
G : Pas du tout. Moi, je n’oserai jamais enregistrer en français, parce que j’ai un accent quand je chante, et que pour moi, chanter ne peut pas correspondre à ce manque de maîtrise. (S’adressant à Camille) Mais, toi, tu chantes sans accent - ton lead est souvent en anglais. Et quand tu chantes en français, c’est toujours plus détaché. C’est plus comme un chœur grec…
C : Sur Le Fil, j’avais en tête cette idée de chœur qui commente l’action. L’anglais est pour moi, plus dans la spontanéité et le français reste la langue de mes études, de l’analyse et des nuances. Et aussi de mon inconscient. L’anglais lui permet d’aller droit au but, d’aborder des sensations plus viscérales, à la fois les plus élémentaires et les plus profondes, plus universelles - « I love you », « I am hungry »... La pop anglaise a cette possibilité-là de faire sonner les mots les plus simples, contrairement au français. Regarde toute la musique noire-américaine. I will survive¸ c’est très simple et en même temps, hyper puissant : tout part de l’intention !
G : Ou Staying alive…
C : Ou Staying alive. Toute la tension y est tellement incarnée. En français, pour que ça soit incarné, tu dois raconter quelque chose. En revanche, le français tire sa force des sons, avec des consonnes, idéales pour le drame ou le réalisme à la Piaf. Quand elle chante, elle s’appuie sur les consonnes. Elle s’enracine. En plus, il s’agit d’une langue latine parfaite pour adapter par exemple, un standard brésilien, grâce à toutes les consommes percussives et fricatives. L’anglais, c’est plus du chewing-gum. Tu peux te mettre en bouche les voyelles et les faire durer des heures.
G : Quand j’enregistrais, il y avait dans le studio, un chanteur français de R’n’B. Parfois, entre deux prises, je l’entendais chanter et je n’entendais que son accent français. Rien que son « oh oh » sonnait faux. C’est pénible de vouloir plaquer l’anglais sur le français. L’inverse, aussi. Par exemple, l’album Monsieur Gainsbourg¸ ils ont traduit du Gainsbourg en anglais. Ce n’était pas terrible.
C : Tu ne peux pas traduire des mélodies parce qu’elles sont indissociables d’une langue. Le problème de la pop actuelle, c’est qu’on se calque sur la pop anglaise. Du coup, on pense que l’allemand ou le français ne sont pas des langues musicales.
G : Et Schubert, ça sonne mal ? (Rires)
C : Toutes les langues génèrent un imaginaire, des rythmes, des mélodies. Dans Music Hole, j’ai fait le choix de l’exactitude [Ndla : de la prononciation]. Je voulais faire des chansons, qui comme des standards, racontent des histoires, qui puissent vous embarquer. D’ailleurs, mon coréalisateur, Majiker, est anglais et si ça n’allait pas, il me le signalait. En revanche, dans God is sound, ce qui m’a intéressé, c’est le travail des sonorités. Mon propos n’est pas d’être dans l’exactitude. Je ne parle ni arabe ni chinois. Ce sont des matières sur lesquelles je vais improviser.
Alors, quel rôle joue la spiritualité dans la création ?
C : En fait, je déteste parler de spiritualité : c’est très intime et ça peut être très vite galvaudé. Mais à propos de la musique, et de la voix en particulier, il y a effectivement une vibration assez cosmique : ça part en soi, se diffuse dans un lieu et atteint les autres. La musique relie au monde.
G : Camille ayant une approche scientifique de sa voix, peut-être y trouve-t-elle quelque chose de mystique. Moi, c’est l’inverse : j’ai une approche scientifique de la musique, je me concentre sur l’harmonie…
C (l’interrompant) : C’est un truc incroyable, l’harmonie ! Ce sont des lois qui nous dépassent totalement !
G : La mélodie, c’est extrêmement cérébral. Le rythme, plus corporel. Et l’harmonie joue sur les émotions. C’est ce qui a le plus de pouvoir. C’est le plus dur à quantifier et à maîtriser. Comme j’ai longuement étudié les harmonies, j’y vois peut-être moins de mystère que Camille. En revanche, comme je ne maîtrise pas le chant et que le son de ma voix est plus instinctif, j’ai un rapport plus mystique avec les mots que je chante. Et l’effet sur le public est tout aussi mystérieux. C’est ce qui donne du pouvoir à la musique.
Et le pouvoir vous intéresse ?
G : Bien sûr ! C’est la raison pour laquelle je fais de la musique. J’ai besoin d’exercer ce pouvoir ; c’est dans mon caractère. Ce qu’il y a de bien dans la musique, c’est que les gens viennent à tes concerts et paient pour que tu exerces ton influence sur eux. Ils veulent être manipulés. C’est beaucoup moins dangereux ainsi que si j’avais été homme politique…
C : Dans la musique, le pouvoir n’est pas qu’en toi. Tu es un médium. Même si tu maîtrises tout sur scène, tu jouis tout de suite des effets de ce pouvoir sur le public. Tu as un retour immédiat. C’est hyper épanouissant.
G (avec un fort accent québécois) : Ça tue sa mère, Christ !
LIENS
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(entretien réalisé avec Sylvain Dépée)