Y a-t-il un fucking problème avec la langue française ?
Drame : une majorité de groupes hexagonaux chanterait en anglais. Pourtant, la question de l'utilisation de sa langue natale ne se pose pas pour dEUS (belges), Scorpions (allemands) et autre ABBA (suédois)... Alors, pourquoi cette rengaine franco-française ? Et si, finalement, le choix de la langue tenait davantage de la couleur musicale que du sursaut anti-patriotique ?
Côté pile
Yodelice ou encore Izia (bien qu’issue d’une famille de francophiles) ont triomphé aux dernières Victoires de la Musique avec des albums… en anglais. De quoi faire s’étrangler papy dans sa soupe. Pourtant, ils sont nombreux ceux qui ont franchi le pas : Hindi Zahra, Stuck in the sound, Gush, Tahiti 80, Kill Automatic, Moriarty, Revolver… La liste est longue. Et les raisons ne sont pas si différentes à chaque fois.
Pour Pony Pony Run Run, leurs influences pop « étant constituées à 90% de références anglo-saxonnes, il nous a été naturel d'utiliser cette langue dès le début ». Idem pour Cocoon, qui n'a pas eu à se poser la question : « Les chansons me sont toujours venues en anglais. J'ai biberonné à cette culture musicale. D'ailleurs, la première fois que j'ai écouté du Brel ou du Gainsbourg, j'ai trouvé ça bizarre. Carrément laid ! »
Pour Hey Hey My My, c’est davantage une question de couleur musicale : « Nous demander pourquoi on chante en anglais, c'est comme nous demander pourquoi on joue sur des guitares électriques... et non pas de l’accordéon ! L'accordéon, c'est très joli, mais pas pour la musique que l'on joue. » Il est vrai que certains styles se prêtent peut-être plus à certaines langues. La soul semble en être un : chantée en français, elle offre un décalage parfois maladroit (ex. : Ophélie Winter), en raison de ses origines américaines encore très marquées. Les Huspuppies confirme pour leur style : « le rock a une absolue nécessité de rythme et de simplicité. Il lui faut des mots allant à l’essentiel. Or, l’anglais est une langue plus synthétique et plus directe que le français. Moins poétique peut-être, mais tellement plus adaptée à la nervosité du rock. »
Et les erreurs de prononciation ? Le French Cowboy (ex-Little Rabbits) s’en moque : « La musique des mots, c’est celle de mon propre langage. Je ne fais jamais corriger mes fautes ! La poésie passe plus par la mélodie et les sons, que par le sens… »
Côté face
Chanter en Français permet pourtant au public de s’identifier au travers des textes. Et nombreux sont ceux qui ont fait mouche en délivrant un message contestataire ou une simple chronique du quotidien. Pour exemples : Berurier Noir (« La Jeunesse emmerde le Front national »), Suprême NTM (« Laisse pas trainer ton fils »), les Têtes Raides (« L’Identité »), Mickey 3D (« Respire ») ou bien encore I Am (« Demain c'est loin ») pour ne citer qu’eux.
Un mécanisme dont Vincent Delerm, plus réputé pour ses textes que ses mélodies, aurait pourtant aimé se passer : « Si l'on veut être écouté d'abord pour sa musique, mieux vaut chanter en anglais, car le texte ne tue pas la mélodie. C'est mon problème. Surtout, chanter en anglais permet d'échapper au procès d'intention. Quand un Américain chante qu'il aime la nature, on ne se dit pas : ouh là, il doit être boy-scout... »
Mais il existe également un contre-exemple grand public : Noir Désir. Si, en effet, le groupe bordelais a recours au français, leurs textes sont truffés de calembours et de références (de Lautréamont à Vladimir Maïakovski) peu accessibles en première écoute. Tout comme Bashung et ses non-sens poétiques, le quatuor donne occasion à réfléchir. Il refuse la production de slogans à assimiler de facto. Le français apparaît donc ici comme une sorte de langue étrangère travaillée - aussi - en fonction de ses sonorités, à l’image du quiproquo d'une partie du public fit à propos de la chanson « Aux sombres héros de l’amer ». Les paroles évoquaient alors la solitude plutôt que des marins
, preuve - parfois - de la limite de la seconde lecture.
Comment imposer la francophonie ? La mise en place des fameux quotas radio du CSA (un minimum de 40%) fut une des réponses de l'Etat en terme de représentation. La mesure a ainsi forcé la main aux programmateurs et aux maisons de disques. Certains ne décolèrent d'ailleurs toujours pas aujourd'hui, souhaitant un assouplissement pour certains styles comme le rock ou le reggae. Quant d'autres pointent une hypocrisie des pouvoirs publics, estimant que l'export de la musique ne s'en ait pas plus amélioré et relayant donc le répertoire francophone aux heures de faibles écoutes.
Aaron souligne malgré tout un changement, souhaitant rappeler « le courage de certaines radios. » Prenant son parcours en exemple : « Il y a quelques années, jamais un groupe hexagonal chantant en anglais ne serait entré en rotation sur France Inter. C'est le cas aujourd'hui. Avant, on nous disait de tout refaire en français... » Le rapport de force s'inverserait-il ?
Prenons du recul. Plutôt que regarder du côté des formations qui chantent en anglais, la vraie question ne serait-elle pas : « Que fait-on pour valoriser notre création ? » Une majorité des groupes actuels souhaite en découdre avec le marché international... afin que la France continue à y être représentée ! L'anti-patriotisme supposée semble ainsi prendre du plomb dans l'aile. Et ce, même si cela doit passer par certaines compromissions.