Publié par Longueur d'Ondes

Membre de l’Organisation internationale de la francophonie, Madagascar peine pourtant à exporter sa nouvelle génération d’artistes, qu’ils adoptent une expression traditionnelle ou contemporaine. Une injustice, au vu du vivier souvent méconnu des programmateurs. Focus sur sa capitale : Antananarivo.


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La carte d’identité. Proche de la pointe sud de l’Afrique et située dans l’océan indien, la « Grande Île » (5e mondiale, de part sa taille, avec 592 040 km2) s’est construite suite aux immigrations africaines, indiennes et européennes. Cet immense producteur de vanille, parfois visité par les cyclones, a pour voisin l’archipel des Comores, La Réunion, l’île Maurice et les Seychelles. Son originalité réside dans sa diversité culturelle, l‘addition de ses reliefs et climats. Sa capitale, qui contient deux millions d’habitants (et signifie « la ville des mille », en référence à l’ancienne garnison royale), est comme un fauve : paradant à la chaleur d’un soleil blafard qui vous mord la peau. D’un calme relativement trompeur. Comme prête à bondir.

Le contexte. Moyens de transports nationaux défectueux, taux d’alphabétisation en berne (notamment chez les jeunes femmes), espérance de vie autour de 64 ans, difficultés démocratiques, besoin grandissant d’importations, tourisme sexuel… Les crises que traversent le pays ont accéléré le désintérêt de la scène politique et artistique internationales pour la jeune génération, quand leurs aînés jouissaient d’une reconnaissance particulière. L’isolement économique et géographique semble plus à blâmer que le talent lui-même, et ce, malgré la mondialisation musicale et l’attrait pour les cultures africaines. Pire, le sort de l’île est suspendu à l’argent public français (et en particulier l’Ifm), allemand ou suisse. Associée à la modestie locale (jamais de plainte, pas de question, inexistence du « non »), au manque de projection (incapacité à expliquer/conceptualiser sa musique, coût du transport aérien) ou aux contraintes techniques (parfois jusqu’à 20 personnes sur scène, manque de relais médiatique, connexion Internet inexistante ou onéreuse, nombreux genres musicaux), l’exportation semble périlleuse.

La politique. Colonie française depuis 1895, le premier gouvernement malgache voit le jour le 10 octobre 1958 et retrouve son indépendant en 1960 après une longue lutte entamée depuis 1947. Suite au coup d’état d’Andry Nirina Rajoelina (aka Tgv) en 2009, un régime de transition a été mis en place… sans qu’aucune élection démocratique n’est eu lieu depuis (servant ainsi des intérêts industriels libérés de toutes contraintes constitutionnelles). Reçu par Nicolas Sarkozy le 6 décembre 2011 (après avoir pourtant exprimé sa désapprobation en 2009), Rajoelina a essuyé deux tentatives de coup d’État et une demande d’intervention militaire, pour le renverser, de la part de la Communauté de développement d’Afrique australe. Les État-Unis, eux, dénoncent un climat régulier « d’intimidation », notamment à l’encontre des opposants du régime. À noter, tout de même, que ce président (39 ans) « de la Haute Autorité de la transition » commença sa carrière comme dj et organisateur des soirées dansantes « Live »…

Eusebe-Jaojoby.jpgLe maître. S’ils sont quelques-uns dont l’aura dépasse les frontières nationales (le bluesman Tao Ravao, l’accordéoniste Régis Gizavo, voire même le Malagasy All-stars, sorte de Buena Vista Social Club local avec notamment le guitariste Erick Manana ou le chanteur Justin Vali), la plupart des ambassadeurs de la musique malgache réside à l’étranger. C’était sans compter sur Eusèbe Jaojoby, le « roi du salegy » (un style caractérisé par une signature rythmique 12/8, dont le pulse est variable suivant les régions). À 58 ans, le chanteur-chorégraphe-compositeur n’a pourtant enregistré son premier album solo qu’en 1992. D’une grande humilité, Jaojoby sait mêler les sonorités contemporaines au chant traditionnel comme personne, donnant encore aujourd’hui – entouré de membres de sa famille – des concerts fiévreux tout en cassures de rythme et en montées cardiaques. Un must libidineux emprunt de culture populaire.

Tsiliva.jpgLa révélation. Tsiliva est le petit prince du kilalaky, musique traditionnelle de la région de Morondava (ouest) inspirée de la culture des dahalo (pilleurs de bétail). Une musique, mais également une danse intergénérationnelle (sorte de twist à la queuleuleu) pour souhaiter la bienvenue aux visiteurs. Populaire (il a tourné en France, à La Réunion, à Mayotte et en a inspiré d’autres…), ce trentenaire cherche malgré tout d’autres pistes à explorer depuis le début d’année. Conscient que sa musique, excessivement rythmique, est difficile à exporter. Ainsi, Tsiliva salue en anglais et en français, incorpore des sonorités occidentales afin d’ambitionner sur l’avenir. Les vêtements flashis sont choisis avec soin et la chorégraphie, bien qu’étudiée, est d’une incroyable énergie. Ou comment l’artiste a compris depuis longtemps l’utilité de (littéralement) mouiller sa chemise.

Jaos-pubLa salle. Autrefois foisonnante, la vie nocturne d’Antananarivo s’est amoindrie au fur et à mesure que les problèmes politiques et économiques de la Grand Île se sont accumulés. Preuve en est : les barrages militaires en périphérie de la ville, le peu d’habitants dans les rues et une insécurité latente que ressente même les Malgaches (pour de petits trajets, la nuit tombée, ceux qui le peuvent financièrement se déplacent en taxi). Hormis donc le magnifique Café de la Gare (une brasserie coloniale, typique des années 20, avec cheminée, fauteuils en cuir et salle de spectacle) ou le cabaret de l’Hôtel Glacier (salle de concert où racolage appuyé se mêle aux concerts tout aussi sexués), le Jao’s pub du quartier d’Ambohipo vaut le détour. Aux mains de l’adorable fille de Jaojoby (lire ci-dessus), ce bar laisse au groupe l’intégralité de la recette de la billetterie (dont l’entrée dépasse rarement 2 €). Les concerts du jeudi, vendredi et samedi soir peuvent y finir à 6h du matin (soit près de 10h de concert), répondant à la demande des habitants : danser ! À ne pas rater : la prestation envoutée et sensuelle de l’artiste Sisca.

Christophe-David.JPGLe tourneur. L’œil éternellement malicieux et la mèche grisonnante, Christophe David a découvert Madagascar à 30 ans. En touriste. Une vingtaine d’années a passé et le voici marié avec une femme du Sud... Intermittent, Christophe est producteur et tourneur à La Réunion. On lui doit notamment les fameuses « Fety gasy » de Saint-Denis ou encore la Fête de la musique. Pour lui, « Il peut difficilement y avoir d’économie de la musique dans la Grande Île », en raison des nombreux disques piratés, du prix des instruments et autres concerts à 2 €. Reconnaissant que le domaine joue « un rôle fondamental dans le quotidien malgache », la complexité des genres (près de dix-huit ethnies et dix grands styles musicaux, hors styles occidentaux) rend, selon lui, l’approche ardue. Pire : « Madagascar ne fait pas partie de la route des programmateurs, car trop proche de l’Asie », résume-t-il, « et l’argent manque pour faire venir ici de gros artistes... » Pourtant, le tourneur – grand habitué de la scène locale – croit profondément en l’avenir : « la qualité de la musique malgache est d’un grand niveau ! Il faut impérativement déplacer le centre de gravité de la musique africaine... Ici, c’est sûr, deviendra dans quelques années le prochain place to be. »

Prix-Musiques-Ocean-Indien.jpgLe tremplin. Le Prix musiques océan indien, 4e du nom, est un dispositif qui mêle sélection, développement artiste (coaching scène, participation financière, promotion) et une tournée dans des festivals partenaires : Babel Med Music à Marseille, festival Les Suds à Arles, Les Francofolies de La Rochelle... Imaginé en 2004, le tremplin a été fondé avec l’aide (notamment) de la Sacem, du Fcm et de l’Adami... But : promouvoir, développer et diffuser les artistes de l’océan indien, auquel appartient Madagascar. La finale, déterminant l’artiste bénéficiant de la tournée parmi trois lauréats (déterminés en juin), se déroulera au Palaxa de Saint-Denis (La Réunion) le 8 novembre 2013. Inscriptions possibles jusqu’au 15 mai.

Teta.jpgLe concert. En marge du concert du grand multi-instrumentiste Tao Ravao (malgache ayant tourné en Europe et aux Etats-Unis avec les plus grands bluesmen), deux figures montantes se produiront gratuitement au festival Musiques métisses 2013, à Angoulême : Thominot & Teta. Bien qu’originaire de Fort-de-France, Thominot Hazolahy maîtrise le rythme ternaire du Sud comme personne, à l’aide de son immense kabosy (guitare malgache) faite maison. Musicalement très énergique, humainement humble, il possède une solide expérience de la scène (France, La Réunion, Seychelles, Corée…). Quant à Teta (en photo ci-contre), guitar hero acoustique qui fait dans la sobriété et l’instinctif, il n’est accompagné que d’un unique choriste (Kirasoa). Lumineux en concert, introverti maladif dans la vie, ses deux albums, tirés à quelques centaines d’exemplaires, sont injustement passés inaperçus. Pourtant, son tsapiky (musique traditionnelle du Sud, parfois utilisée pour la transe), a de quoi convaincre les scènes internationales. Sorti de Madagascar pour la toute première fois il y a deux ans, il découvrira la France ce 18 mai.



À suivre : Baba (blues-funk), Mafonjah (roots-reggae), Mika & Davis (musiques urbaines), Joël Rabesolo (électro-jazz) ou encore Arison Vonjy (variétés). Car, au-delà de son vecteur universel et de sa recherche de cohésion entre ses différentes ethnies, c'est au fond un peu de fierté et d'espoir en l'avenir que recherche les Malgaches à travers la reconnaissance de leur musique. Reste désormais aux programmateurs et journalistes de sortir des sentiers battus...

 
 

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