C2C, disque de platine(s)
West coast ? Oubliez ça. La côte ouest française a sa revanche avec ses quatre ex-quadruples champions du monde de DJ. Un carré d’as, mi-Hocus Pocus, mi-Beat Torrent, dont l’album convoque aussi bien le rappeur américain Pigeon John et le crooner scandinave Jay-Jay Johanson que la pop française de Gush.
Pour un journal (ndla : Longueur d'Ondes) qui met un point d’honneur à valoriser des projets injustement sous-médiatisés, mettre en Une les héros nantais de la néo-French Touch fit émerger nombre de débats au sein de la rédaction. La – longue – réflexion permit ainsi de mesurer pleinement l’envie de continuer à écrire la suite de l’histoire d’Hocus Pocus et de Beat Torrent, entamée dans ces colonnes. Et peu importe le buzz ! Il faut avouer que leur ascension fut fulgurante ses derniers mois, réussissant l’exploit de tourner dans les plus gros festivals estivaux avec un unique six titres (dont un remix) et d'illustrer la pub Google Chrome. Qui l’eu cru ? Faire culbuter jazz, hip-hop, soul, swing et électro dans un même gang bang sonore et érudit était, quoi qu’on en dise, un pari culotté. Mais la sortie de l’album en septembre montra – avec l’un des meilleurs démarrages des ventes de ces derniers mois – qu’audace, design et créativité pouvait payer.
Avant que C2C ne révèle ses lettres de noblesses en devenant les rois du turntablism, cet art de créer de la musique à partir de platines vinyle, il faut revenir à l’origine : Nantes. Ados, 20Syl, Greem, Pfel et Atom pratiquent le skate. Si trois d’entre eux sont des redoublants, cancres du fond de la classe, tous fréquentent les disquaires Black & Noir ou Oneness Records, tenu par un dj qui rapporte des imports du Japon et des U.S. Ils s’y passionnent pour DJ Premier ou Q-Bert (« Le beat est fat », répétaient-ils, à l’époque), font la connaissance de la scène hip-hop locale (S.A.T, Soul Choc, Dimension Eskartel) et créent même l’ex-festival Energ’hip hop où ils réalisent des battles de dj. En parallèle, les quatre garçons plein d’avenir commencent à rêver C2C en majuscule, éditant trois vinyles de breakbeat (ndla : séquences de batterie pour djs) – les « Flyin’ Saucer », entre 2011 et 2003 –, puis remportant des titres de champion de monde (2003, 2004, 2005, 2006). Leurs carrières respectives, 4 albums pour Hocus Pocus et 3 pour Beat Torrent, prirent ensuite le pas sur une aventure collective inachevée.
Quelques années plus tard, ces premiers vinyles – écoutés jusqu’à l’usure – ont pris une dimension toute différente : « Nous avons joué avec la plupart des groupes dont nous étions fans : Cypress Hill, De La Soul…», répondent-ils d’un seul homme. Fiers. On s’étonne alors que leur amour pour le hip-hop 90’s n’a pas davantage rendu contestataire le propos du groupe, même si, selon Pfel « faire de la musique avec des platines est déjà un exercice de rébellion » et mise à part, peut-être, la chanson « Kings Saison » (écrite par 20Syl, chanteur d’Hocus Pocus) qui est « un message politique sur le Printemps arabe. » Aujourd’hui, une partie du groupe vit à la capitale, habituée à s’avaler régulièrement ce Paris-Breizh étouffe-chrétien pour rejoindre 20Syl dans son studio de la banlieue sud nantaise (« Un véritable musée d’instruments ! »). Qu’il semble loin le temps où les compèresrépétaient à la bouche et en mimant les gestes des scratchs et les enchaînements avant de monter sur scène. « Mais fini la performance », enchérissent-ils « place désormais à des titres plus amples, tant sur la longueur que sur l’étendue de notre palette chromatique. »
Album
Contrairement aux djs traditionnels, piochant dans le répertoire des autres, C2C composent ses propres sons. Une question de droits d’auteur, tout d’abord, mais également une donnée technique, permettant de s’approprier au mieux l’ensemble des éléments : « Sur une centaine de maquettes, 14 titres ont été retenus. Le but ? Mélanger choc des cultures et prouesse technique, sonorités froides de la machine avec la chaleur de l’organique, l’univers vintage du grain du vinyle avec la précision de la goa (trance) ». Avec ce leitmotiv obsessionnel – qui explique, par exemple, l’utilisation du koto, une cithare japonaise, sur le titre « F.U.Y.A. » – : « Ne pas pouvoir être étiqueté ». Si le résultat est désormais connu, on oublie parfois le soin minutieux apporté « aux rythmiques et à l’unité du répertoire. C’est un véritable album narratif, avec un fil cohérent. Une sorte de mur avec des briques de couleurs différentes... Des Legos, quoi ! »
Et parmi les nombreux invités de l’album (Pigeon John, Olivier Daysoul, Gush, Blitz the Ambassador, Jay-Jay Johanson, Rita J. & Moongaï, Netik, Tigerstyle, Rafik, Kentaro & Vajra), s’ils ne devaient ne retenir qu’une seule rencontre, ce serait Derek Martin sur le titre « Happy », un soul man des années 70, originaire de Detroit et vivant en France : « Il nous a raconté des anecdotes incroyables sur Ray Charles ou sur le fait qu’il n’a pas voulu signer à la Motown parce que Berry Gordy (ndla : le fondateur) voulait sortir avec sa sœur ! Le pire, c’est qu’il a mis du temps à comprendre que nous jouions avec des platines (ndla : « table » en anglais, un faux-ami)… » Eclectisme, quand tu nous tiens…
Live
Si les précédents concerts estivaux des C2C ont tôt fait de marteler leur excellente réputation, profitant au bouche-à-oreille exponentiel, l’exercice révèle pourtant un aspect assez paradoxal de leur œuvre : les platines offrent en effet un confort de création dans l’exploitation des sons, mais le show se veut d’une profonde rigueur technique : « Nous avons une liberté dans la création, mais pas dans la restitution. Il faut tout d’abord trouver des astuces pour réussir à rejouer les morceaux. Ensuite, nous essayons de donner un autre sens au live, en réinterprétant certaines parties. On a parfois été tellement déçu par d’autres, républiques exactes de leur album, que nous ne le souhaitons pas pour notre public. » Mais sans prise de risque, sacrifiant l'authenticité pour une rigueur technique (voire une routine), comment rendre un show millimétré unique ? L'émotion nait parfois des hasards, des accidents ou de l'ambiance... « C’est pour cette raison que nous nous filmions au début, pour améliorer notre coordination, mettre en place nos gestes. Mais on ne peut pas se permettre de déstructurer un morceau en live ou de faire une impro à cause du jeu de lumière ou des collègues qui sont dépendant de notre jeu. On change malgré tout les phrases de scratchs chaque soir. Mais pour obtenir une vraie tranche d’impro, il faudrait la préparer ! (rires) »
Où est le risque, alors ? « Attention, ce n’est pas parce que tout est calé que ce n’est pas casse-gueule. Les quinze premières dates, nous avions vraiment la tête dans le guidon ! Il faudrait que l’on fasse comme Alain Chamfort : faire semblant de se planter au même endroit du concert pour faire plus authentique… (rires) ». Il faut avouer que le show est millimétré, mis en lumière par Rémi Paoli d’après le story-board du groupe. Ainsi, des formes géométriques fluos sont projetées à chaque interaction des djs, quand ce ne sont pas les platines elles-mêmes qui s’allument pour mettre en valeur les manipulations. La dimension graphique est justement un axe fort des C2C (« du en partie à 20Syl, à l’origine graphiste et diplômé des Beaux-Arts »), expliquant notamment le contrôle exercé et mesuré autour de leur image (de l’aspect un brin tatillon observé en séance photo). Pas étonnant qu’il fallu plus d’une vingtaine de propositions de pochette d’album, avant de finalement se retourner vers une photo du taïwanais Wang Chien-Yang mettant en scène de jeunes nymphes effeuillées avec des peluches. Un consensus parfait pour les quatre individualités du groupe : « Nous savons qu’elle peut diviser, mais nous aimions son côté kawaii (ndla : « mignon » en japonais, souvent affilié au mouvement adulescent ou féérique nippon), varié et acidulé, remise en forme par LVL studio. »
Et cette longue tournée, alors ? « C’est effectivement être non stop les uns sur les autres. Dans notre cas, on arrive à le gérer, car on se connait depuis longtemps. Cette complicité est une aide précieuse. Nous n’avons parfois même pas besoin d’échange verbal. » Une anecdote particulière dans un festival ? « Oui, à Pukkelpop, en Belgique, quand nous sommes montés sur scène, le public chantait « La Marseillaise »… On ne croit pas se souvenir que ce soit déjà arrivé ! On sent d’ailleurs qu’il existe une vraie fierté de la part des gens, qui nous dépasse parfois. Voire une indentification. L’envie que l’on représente la France. Et c’est encore plus marquant pour Nantes. On revient tout juste d’un concert là-bas, et c’était presque l’émeute… »
Médiatisation
On charrie justement sur les nombreuses interviews réalisées dernièrement et leur patience à répondre aux mêmes questions – « Pourquoi Coup 2 Cross ? », « CéDeuxCé ou CiTwoCi » ?, « Que pensez des actuels tenants du record du DMC ? » (ndla : le duo japonais Kireek) – ou les éternelles comparaisons avec Birdy Nam Nam… Mais c’était sans compter sur leur caractère posé et réfléchi : « C’est normal. Nouveau projet, nouveau groupe (même si nous avons 14 ans d’existence)… Nous devons faire un peu de pédagogie pour expliquer notre métissage, nos origines, l’aspect technique. D’où le fait d’incliner nos platines, d’où le jeu de lumière pour ne pas seulement être des hommes-tronc derrière des pupitres. Et puis, le public veut vérifier si nos titres ne sont pas usurpés… De toute façon, on se prête volontiers à l’exercice, car cela permet de réfléchir à ce qu’on fait, à se rendre compte de l’image ou de l’impression que l’on renvoie. C’est aussi comme ça que l’on progresse. »
Ressentent-ils l’engouement grandissant autour de leur projet ? « C’est vrai que nous avons connu un été intense, mais ayant été longtemps enfermés en studio, nous n’avons pas eu le temps de nous en rendre compte. C’est important pour nous d’avoir connu des tournées plus modestes avec nos formations respectives. Cela permet de garder les pieds sur terre… Et puis, quel engouement ? Pour l’instant, nous n’avons pas de fans qui dorment en bas de chez nous ! », enchaînent-ils. Reste désormais à réceptionner quelques remixes, comme par exemple celui du groupe déjanté japonais Hifana (« Down The Road ») ou encore celui du producteur français DEbruit (« F.U.Y.A. »). Histoire d’éditer quelques bonus pour remercier les fans. Et ensuite, les vacances ? « Non, le pire, c’est que ça ne fait que commencer ! », répondent-ils, hilares.
> Chronique album
(1re photo : Roch Armando / 2e : Ben Lorph)