Stéphane Saunier : « pourquoi TF1 ne fait plus de variétés ? »
T-shirt sombre, queue de cheval, dents serrées et phrasé sec, le monsieur Musique de Canal+ est un discret. Un passionné aux manettes de la programmation de la chaîne cryptée depuis 1996, à l’intuition incroyable. La filiale française de Roadrunner, les lives de Nulle Part Ailleurs, le premier concert d’Amy Winehouse en France, La Musicale, L’Album de la semaine… À 54 ans, l’ancien responsable d’un magasin de disques au Havre et ex-gérant de deux labels indépendants (Sonics et Closer Records) continue à transmettre sa boulimie de la découverte.
« Si le rock a toujours été associé à l’image de Canal+, c’est en raison de ses fondateurs (ndla : les anciens directeur général Pierre Lescure et le directeur des programmes Alain de Greef sont issus de l’émission Les Enfants du Rock sur Antenne 2). Pour preuve : Rodolphe Belmer, l’actuel directeur, a voulu remettre de la musique à l’antenne parce que cela fait partie des fondations de la chaîne. Un axe délaissé par certains de ses prédécesseurs.
Mais la longévité des émissions musicales sur Canal+ s’explique aussi parce que nous prêtons moins attention à l’audience. Les abonnés pouvant noter les programmes, nous sommes plus attentifs au taux de satisfaction. L’essentiel, c’est la qualité de l’émission ou la cible touchée. Mieux vaut parler à moins et qu’il y ait une pulsion d’achat sur un album ou une place de concert. On le sait : la musique ne fait pas d’audience. 1 million d’album vendu c’est beaucoup. Pas un million de téléspectateurs… Et la meilleure récompense, c’est un gosse qui vient me voir en me disant qu’il s’est découvert des passions grâce à nous.
Rien n'est impossible
Ma ligne éditoriale ? Ce qui passe « nulle part ailleurs ». Je sais, je l’ai souvent dit, mais cette maxime, que je me suis appropriée, reste encore vraie aujourd’hui. Nous essayons également d’avancer en même temps que les possibilités techniques. Tout est diffusable : il suffit d’avoir le bon angle, l’éclairage et la scénographie adaptés. Nous ne sommes pas à l’usine de la musique… Il faut respecter le talent (c’est comme si on donnait un ballon carré à un footballeur). Et puis, depuis plus d’une quinzaine d’année, il y a forcément un rapport de confiance qui se crée les artistes que l’on suit depuis les débuts : The Black Keys, Damon Albarn...
Il y a différentes façons de traduire l’énergie d’un artiste sur scène : l’intimité d’un club pour L’Album de la semaine en est un exemple. Ce n’est pas le tout d’inviter, encore faut-il savoir recevoir... Et l’audace ne peut être permise qu’avec l’accord d’une direction. Ce n’est donc pas toujours une question de « personnalités », mais de moyens transmis par une direction de chaîne ou des programmes. Ca explique peut-être pourquoi le concept n’existe pas dans les autres pays. Il y a bien eu une tentative de rachat du concept, mais ça n’a pas abouti (ils souhaitaient faire quelques changements… quel intérêt ?). Aux Etats-Unis ? Que des talk show. À la radio ? Une playlist mensuel de 10 titres… Pourquoi croyez-vous que les gens se tournent vers les webradios ? On veut de l’inédit.
De tout pour faire un monde
Au sein d’un talk show, justement, le live est forcément différent. Le format impose un rapport plus anecdotique ou grand public à l’exercice. Oui, la musique est parfois intégrée sur des critères de partenariat ou parce que c’est « cool ». Comme quoi, et je le répète, ça tient à peu de choses : l’ambition et les possibilités. Et puis, il faut des émissions pour tout le monde ! Les cinquantenaires ont le droit à leur variété, par exemple, mais il faut que ce soit bien fait : pas comme Chabada ! (ndla : 2009-2013 sur France 3, présentée par Daniela Lumbroso). Les 35-50 ans sont aussi des oubliés récurrents et la télévision n’a parfois plus cette ambition de faire grandir les gens. Je ne comprendrais jamais pourquoi TF1 ne fait plus de variétés. On l'a remplacé par du karaoké… C’est ce qu’était la Star Academy, non ? Du Maritie et Gilbert Carpentier (ndla : producteurs d’émissions musicales dans les années 60-70), je suis pourtant persuadé que ça marcherait.
Autres temps, autres mœurs
Aujourd’hui, un gamin de 13 ans, ça consomme avec ce qu’il a : un smartphone ou une tablette. Donc, du son avec de l’image, peu importe la qualité du son d’ailleurs (quand tu vois que des mecs se sont fait chier à masteriser ça en Californie… avouons que c’est drôle). Ce qui leur importe c’est « je l’ai découvert en premier ! » De notre côté, nous essayons tout de même de faire coïncider nos lives avec la sortie d’un album pour qu’il y ait un support post-live. C’est aussi le but.
Bien sûr qu’il y a Internet, mais je le considère toujours comme un complément, même si nous avons toujours de bonnes surprises : le concert de Jack White, il y a 2 ans, a été vu par 1,2 million d’internautes. Que demander de plus ? De toute façon, il faut dissocier ceux qui sont nés avec et ceux qui vivent avec… Il s’agit seulement d’une autre cible que celle qui regarde en direct. Si, avant, nous fouillions les bacs à disques, le travail se fait désormais sur des pages de site. Et alors ? Il faut conserver cet esprit de recherche ! C’est la base. »
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