Eh la, qui va là ? The Inspector Cluzo
On dit du duo qu’il sonnerait comme « les Melvins en train de sodomiser Marvin Gaye »… Vrai, bien que réducteur. Car, au-delà de leur rock couillu et cuivré, se cache un authentique (auto)produit gascon. Un projet sincère, avec le budget slip d’un porno des familles et les deux pieds dans la terre. En dégustation, depuis 2008, dans 35 pays.
Sans concession (agricole ?)
The Inspector Cluzo, c’est une guitare (Malcom) et une batterie (Phil). Sans sucre ajouté, ni édulcorant. Le choix d’une forme directe, parfois brute, souvent réduite à son essentiel. Comme pressé d’en découdre. D’aller se battre là où « tout se joue » : la scène. Puis, un nom sur le bocal, inscrit de la main de leur ami Angelo Moore (chanteur de Fishbone) – référence anglophone au naïf flic de « La Panthère rose ». Pourtant, rien de plus sérieux que ce qui séduit par son artisanat, touche par sa radicalité et ses valeurs. Parce que devenu trop rares. Parce que fragiles. A l’ancienne.
A l’origine, il y a deux anciens survivants de Wolfunkind, un groupe rock-funk qui étira son spectre jusqu’à l’électro, le disco ou la musique hispano-arabisante. De quoi ouvrir 5 fois pour FFF, monter sa structure de booking (Ter à Terre) et y gérer notamment les tournées de Sharon Jones and The Dap-Kings. Tout est déjà là : l’autonomie et l’indépendance, l’importance du live et la fusion des styles, l’amitié et les racines… Mont-de-Marsan.
« Là où se passait Intervilles ? », attaque-t-on d’entrée pour tâter du caractère local. « Ouais. Pas notre faute si nous avons toujours gagné… Ici, tu colles une vachette à n’importe qui, il sait quoi en faire… », répondent-ils du tac au tac, railleurs. Avant d’enchaîner : « Ici, tout le monde se cogne du rock, mais ils restent – malgré tout – fiers de nous ! (rires) Caractère et humilité, c’est dans l’Adn. Comme Didier Wampas – que nous adorons –, nous avons un travail à côté. C’est important ! On le répète souvent : tous ces mecs qui prennent de la coke, se la pètent, etc. C’est n’importe quoi. Le rock, c’est sur scène ! Pas avant, ni après. »
Gascons d’honneur
Pas difficile pour le duo de tout maîtriser (leur label FuckTheBassPlayer, management, booking, marchandising, édition…), jusqu’à parler d’une seule voix : 21 ans qu’ils jouent ensemble. « On habite à 50 m l’un de l’autre, prenons des cours de gascon, avons une association qui soutient la culture locale (par exemple en distribuant nous-mêmes des bandes dessinées en gascon – les mecs hallucinent !) », balancent-ils, pas peu fiers. Et de lancer : « En tournée, nous ne prenons qu’une chambre (mais pas le même lit, oh). » Besoin de maintenir une chaleur animale ? « C’est une approche sportive ! », répondent Phil et Malcom, « Nous avons fait beaucoup de sport collectif, donc la collectivité et la proximité, on connaît… De plus, nous n’avons pas d’égo l’un par rapport à l’autre. Complémentaire techniquement, mais pareil dans le caractère. Comme un lien fraternel. »
Sauf que ce rock rural, cette fusion entre groove et punk, n’a rien de bouseux. Au contraire, il s’inscrit dans un code d’honneur qui donne presque envie de poser le crayon et les suivre. Tout plaquer pour renaître. « C’est quelque chose de très terrien. Une éthique autant qu’une façon de vivre. Ca nous a parfois fermé les portes, mais nous sommes droits dans nos bottes, intègres. Pas le temps pour une salle qui nous prendrait de haut. Pas intéressés. Nous avons grossit parce que ça marche, pas parce que nous avons peur. C’est ça l’ar-ti-sa-nat ! C’est comme le stade montois rugby dont nous partageons entièrement toutes les valeurs : pas d’argent, des petits comme des gros, mais tout le monde combat pour la beauté du jeu. Donne-nous un défi, nous n’en serons que meilleurs. Snobe-nous, notre meilleure réponse sera la scène. »
Avec un tel mode de vie, c’est à se demander pourquoi joue-t-il le jeu de la promotion. « Nous ne refusons jamais ! », coupent aussi sec les deux mousquetaires. « Juste que nous considérons le live plus important que la couverture médiatique. Nous avons généralement les médias qui nous correspondent : indépendants. Pour le reste de la profession, les retombées tombent souvent après les concerts, preuve que notre leitmotiv est le bon. Et puis, nous sommes un groupe de carrière, non de concept. Ca fait seulement que 5 ans et nous avons vu tant de groupes hypes disparaître post-festivals… »
Piliers de la terre
Cette prise de distance, salvatrice pour leur processus de création, va même plus loin : « En ce moment, nous essayons d’acheter une ferme pour élever nos canards et nous auto-subvenir en nourriture. Il est plus important pour nous de se réapproprier notre terre, dans un contexte de mondialisation, que de tourner. De tous les pays visités, la France et les Etats-Unis sont – de notre point de vue – les plus consuméristes. Cela nous rend tristes : personne ne s’en rend compte. Et, comme par hasard, nous avons constaté que les lieux où il subsiste une culture locale forte sont ceux qui résistent le plus : Auvergne, Bretagne… »
Etonnant que cette forme de militantisme n’est pas encore trouvé récupération de la part des politiques. Bien qu’approchés, The Inspector Cluzo ont toujours décliné, souhaitant rester discret sur ce domaine. Seul élément qu’ils peuvent affirmer, c’est que « l’Europe est intellectuellement corrompue avec des politiciens qui subissent des lobbyings comme ceux de Mosanto. Peu vont sur le terrain. Ah ça, pour nous torcher des pistes cyclables, pendant que les agriculteurs – qui font pousser des aliments ! – meurent de faim, il y a du monde… » Et de rajouter : « Au contraire, il y a tout à faire à la campagne. C’est dingue quand même ce mal-être et cette peur du vide généralisée qui obligent les gens à vivre à tout prix en ville. »
Preuve de la ritournelle, cette thématique est justement au centre de « Gasconia rock ». La pochette est en toute symbolique : « un Gascon en béret qui te regarde fièrement dans les yeux. Pas par pitié, mais tendresse. Toujours dans le respect de la culture des autres… Le reste de la pochette alternera planches de bande dessinée – comme pour le précédent album – et photos montrant que, en dehors des villes, il reste de belles choses. » Pas comme un rappel à l’ordre, mais bien comme un espoir, une utopie à épouser. Entrevoir l’équilibre à retrouver coûte que coûte.
Exportation
Halte aux clichés cependant, leur public étranger n’est pas une niche de spécialistes : « Des fans, certes, mais aussi des amis, des curieux, des street teams qui nous aident à distribuer… On dort souvent chez eux. Par exemple, notre tourneur au Japon (le n°2, également programmateur du festival Fuji rock, dans lequel ils ont joué dès 2008) conduit lui-même le camion de la tournée, nous a déjà présenté sa femme, etc. C’est fort comme moments ! » Un positionnement qui s’avère gagnant : 600 concerts en 5 ans, dont quelques festivals majeurs (Sziget, Dour, Eurockéennes, Solidays, Francofolies, Vieilles Charrues, Transmusicales…), et un titre classé devant Lady Gaga dans les charts des radios commerciales japonaises, en mai 2010. Comme quoi, l’engagement et l’ancrage local peuvent payer.
En tournée, d’ailleurs, le groupe met un point d’honneur à toujours ramener un peu d’Armagnac et de foie dans ses bagages : « Pas évident, car nous ne sommes généralement que 3 à porter le matériel et le marchandising. Mais c’est notre marque : on se démerde. (dans le documentaire, vous serez comment nous pouvons contourner la question du surpoids de bagages en soute). » Des souvenirs d’un des 35 pays visités ? « Là, nous revenons tout juste de l’Afrique du Sud, c’était énorme. On y a été programmé parce qu’un mec nous a vu à Taïwan ! Dingue, non ? Pas besoin de majors ! Les choses peuvent être spontanées… »
Mais ce qui les motive le plus à avaler autant de kilomètres, c’est avant tout l’échange : « Toutes les cultures sont intéressantes. On apprend tellement ! Chacun dit comment il fait chez soi, etc. On constate souvent, d’ailleurs, que nous sommes généralement d’accord sur le fond. Ce qui met encore plus en valeur que, ce que nous consommons culturellement en ce moment, est en décalage… »
Et même si le public ne comprend pas toujours les paroles, les deux compères s’essaient à toutes les langues : « Notre humour est pris pour du pince-sans-rire. A l’anglo-saxonne. Mais ça reste universel, car caustique. On aime le combat, on taquine. On crée des relations dans le fight, c’est notre culture. L’humour reste cependant chaque fois improvisé parce que le public, c’est comme des potes. Les terriens restent toujours des poètes romantiques. La vie glisse sur nous ! »
Nouvelle moisson
« Pour la première fois, nous avons pris 6 mois de repos (entre novembre et juillet), car nous ne prenons habituellement que 15 jours par an », s’excusent-ils, d’emblée. « Et encore, pendant les 6 mois, nous avons géré l’association... Une période de recul, certes, mais pas de remise en question. C’est d’ailleurs la première fois que nous réalisons l’album de A à Z. Les autres furent mixés par Stephan Kraemer. On a juste un ingénieur du son qui nous surveille au loin (rires) et nous avons acheté, pour l’occasion, une vieille table analogique pour être raccord avec la puissance de notre son live. »
Justement, comment régler ce dilemme ? « Il nous fallait une cohérence, sans être un copié-collé (étant donné que nous faisons des overdubs en studio – ndla : le fait de réengistrer des parties additionnelles). Ca sonne très vintage, comme on le voulait. Entre Led Zep’, les Who et Beck. La batterie est en mono, avec un seul micro (rires). Moins funky, plus rock’n’roll. Nous étudions également le fait de rajouter une boha (ndla : cornemuse gasconne, capable de réaliser des accords). »
En parallèle de ce nouvel album : la sortie d’un documentaire. « C’est dans l’idée de la transmission de valeurs », coupent les Gascons, afin de se prémunir de tout procès d’intention. L’idée viendrait même de Jean-Louis Brossart, programmateur historique des Transmusicales de Rennes : « Il nous a soufflé l’idée de montrer aux autres l’incroyable aventure que nous vivions, et dont nous n’avions pas conscience. Que cette histoire permette de prouver que l’on peut arriver à quelque chose par d’autres moyens. Et rien ne cacher : des engueulades, du canard, du rugby, du manque d’appuis et… les joies. Surtout. »
Pour le moment, pas de saturation du groupe face aux multiples réécoutes de l’album lors du mixage. Au contraire, Phil et Malcom sont excités à l’idée du nouveau combat à donner. Avec un choix difficile à prendre : « choisir seulement 10 titres parmi les 22 chansons enregistrées. » Gloups. Ou comment, avec le succès et le trop-plein de créativité, les voici tout d’un coup confrontés à un problème de riches…
Album « Gasconia rock »
> Label
> Concert Vieilles Charrues 2011
Discographie
« Cluzo » E.P. (2008) / « The Inspector Cluzo » (2008) / « The French Bastards » (2010) / « The 2 Mousquetaires » (2012)