THE INSPECTOR CLUZO : le rock en contrechamp
Après un best-of unplugged, une tournée US avec Clutch et Eels, voire un concert unique aux arènes de Plumaçon avec l’orchestre de Pau Pays de Béarn, les rockeurs-fermiers reviennent telles les saisons avec un 9e album.
De traditions, il en a toujours été question chez le duo guitare-batterie landais. À commencer par celle d’un rock Do It Yourself. Au plus proche de son origine populaire... De celle qui se racle à l’expérience, se construit à la force de la sueur et sans aide extérieure. Car les Cluzo sont de ceux qui assument et défendent leur indépendance avec ardeur, assurant la plupart des postes (label, booking, management, édition…), tout en enchaînant les dates en camion avec parfois pour seul extérieur un ingénieur son… Sur scène ? Pas plus de bandes son ou supports électroniques. Juste leur caractère en ligne de front, paré à tout imprévu et improvisation, ainsi uniques responsables de leurs revers et succès. On ne chouine pas chez les Gascons.
À ceci près que leur révolution punk de cols bleus ne trouve pas sa couleur dans les blouses des usines, mais dans celles crottées d’une ferme. Quitte à revendiquer l’autosuffisance, c’est donc dans leur activité parallèle d’éleveurs traditionnels d’oies qu’ils trouvent de quoi nourrir disques, esprits et population... L’autonomie leur donne raison : plus d’un milliers de concerts en moins de 15 ans, une soixantaine de pays et une participation dans la plupart des grands raouts estivaux (Fuji Rock, Hellfest, Sziget, Resurrection, Dour, Vieilles Charrues, Lollapalooza…). L’authenticité a du bon.
Et comme leurs activités s’alimentent (autant philosophiquement que littéralement), il convient naturellement de prendre d’abord des nouvelles de leur exploitation, souvent baromètre du processus créatif de tout nouvel enregistrement. Et chez les Cluzo, le confinement n’a effectivement pas été de tout repos. « Nous avons réalisé en quelques mois, ce qui nous aurions dû faire en plusieurs années », lâche le guitariste Laurent Lacrouts. Détaillant : « La création d’une mare pour le potager, l’intégration de blé rouge de Chalosse (celui de la pochette), l’augmentation du nombre de moutons landais, l’arrivée d’un cochon pour le compost… »
Mais aussi : une seconde vague de grippe aviaire – occultée par l’autre pandémie – et s’additionnant à un voisin surproductif mettant à mal leur élevage autarcique. « Nous avons refusé l’abattage préventif : Che Guevara, c’est bien... Gandhi, c’est mieux ! » On comprend mieux l’ironie du titre “Running a Family Farm is more Rock than Playing Rock’n’roll Music” (diriger une famille est bien plus rock que jouer de la musique rock'n'roll) ou la déconnexion du réel dénoncée dans “ The Armchair Activist “ (l’activiste de fauteuil).
Comment expliquer d’ailleurs cette porosité entre leurs deux mondes ? « La musique, ce n’est pas un métier pour nous : ça fait 40 ans que nous en faisons ensemble. Il ne s’agit donc pas d’une nécessité, mais d’une envie… La ferme ? C’est différent. On est dans la mêlée, notamment via la sauvegarde de races locales. » De quoi même, au-delà de donner matière aux paroles, faire naître quelques idées : « On compte raconter plus longuement cette expérience, en plus des modèles étudiés à l’étranger en marge de nos concerts, pour aider les nouveaux agriculteurs qui découvrent ce milieu de plus en plus hostile. La génération d’écologistes urbains a bon fond, mais ne doit pas oublier que l’agriculture est une question d’équilibre et non de slogans lapidaires sur les plateaux télé... Il faut faire le tri entre les propagandes de tous bords ! L’avenir, c’est l’entraide et la société ne pourra s’en sortir qu’en l’absence de dogmes. La preuve : on produit trop et pourtant certains mangent toujours aussi mal… »
Pas étonnant sur cet album, nommé malicieusement Horizon (un cap à atteindre ou une menace qui point ?), que l’accent ait été mis sur le fond : « Les mots doivent l’emporter sur la mélodie. Se raconter davantage, c’est ce vers quoi nous a poussé notre réalisateur Vance Powell1. Les arrangements ? Il s’en branle ! Ce n’est pas l’empilement de couches qui fait ta puissance, mais le travail des harmonies... Ta singularité. Et un matériel d’origine solide, évidemment. C’est pour ça que tout a été d’abord composé à partir d’une guitare acoustique ». Une méthode d’ailleurs consignée dans le 1er couplet du titre “Rockophobia“ et dont l’abandon progressif par la nouvelle génération serait, selon eux, à l’origine du déclin du rock.
Preuve surtout que, de la musique à l’écologie, chez eux la quête de sens prime. Tout est une question de cultures.
1 Producteur et mixeur américain, ayant remporté 6 Grammy Awards et travaillé avec Jack White, Arctic Monkeys, Tinariwen, Wolfmother...
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Iggy, es-tu là ?
Surprise, à la fin du titre “Rockophobia“ : c’est bien Iggy Pop qui réagit au 2e couplet évoquant le fait que si l’Iguane ne montre désormais plus son sexe sur scène, c’est bien parce que « rock is dead »… Un morceau envoyé pendant l’enregistrement à l’intéressé et qui l’a fait beaucoup rire. Comment ? Son ancien manager (le Français Alain Lahana) a fait partie en 76 des coorganisateurs du 1er festival punk dans le monde à… Mont-de-Marsan, ville d’origine des Cluzo. La boucle est bouclée.