Sweeney Todd - Le diabolique barbier de Fleet Street
La sixième collaboration entre Tim Burton et Johnny Depp signe une comédie musicale sanglante, récompensée par deux Golden Globes. Une fresque esthétique incroyable, inspirée par la pièce d’Harold Prince, qui risque de laisser malgré tout perplexes certains profanes.
C’est l’histoire de ce barbier sanguinaire figé dans la culture populaire. Un barbier anglais du début du 19ème siècle qui tranchait la gorge de ses clients et se débarrassait de leurs corps avec la complicité de sa maîtresse Ms Lovett. Une légende popularisée par Thomas Beckett Prest (« The String of Pearls »), puis par la comédie musicale de Stephen Sondheim en 1979. Un mythe qui a même à la fois inspiré Charles Dickens dans ses « Contes des Deux Villes », un film en 1936 ou encore deux téléfilms (John Schlesinger en 1998 et David Moore en 2006). Et si le projet de Burton commença en 2001, d’autres voulaient également s’essayer à l’exercice comme Alan Parker ou encore Sam Mendes (avec Russell Crowe dans le rôle titre).
Ce qui marque au premier abord, c’est le réalisme des décors londoniens, sans utilisation outrancière des effets spéciaux. Tout y est noir, sali et brumeux. Les personnages, entre physique cabosé et prostituées, évoluent sur le pavé humide dans une ambiance industrielle cannibale. Et dans cette palette des gris, le sang obscène des victimes exerce un vif contraste volontaire. Le climat est austère et sombre pour mieux servir cette tragédie classique sur fond de vengeance, d’amour et de pulsions passionnées. Les assassinats n’épargnent aucun détail, donnant aux actes des giclées d’hémoglobines japonisantes (en attendant la version longue du film jugée plus gore). Et qu’importent les prises de liberté avec la comédie musicale initiale, « Sweet Todd » est très certainement l’un des plus beaux films de Tim Burton. L’esthétisme y est presque naturel et d’une très grande cohérence avec le reste de la filmographie du sombre réalisateur américain. De quoi ridiculiser « Vidocq » ou les anciens épisodes de « Chapeau Melon et Bottes de Cuir ».
Côté distribution, nous ne pouvons que regretter l’annulation de Christopher Lee (Dracula, Scaramanga, Comte Dooku ou Saroumane) qui avait véritablement sa place dans cet univers ténébreux. Sacha Baron Cohen y offre un personnage déjanté dans la verve de son Ali G et de Borat. Alan Rickman retrouve le charisme cynique qui l’avait fait connaître dans « Piège de Cristal » (Die Hard), bien loin de son rôle sous-exploité du professeur Severus Rogue dans la saga Harry Potter. Enfin, le casting est naturellement clôturé par Helena Bonham Carter, l’actuelle muse et femme de Tim Burton, aussi pâle que jamais. Tous, sans exception, ont accepté de pousser la chansonnette à contre-emploi de leurs prestations habituelles.
Et concernant Johnny Depp ? Il subsiste des acteurs que l’on prend plaisir à voir jouer avec leur maître : Danny Boyle et Ewan Mcgregor, Guy Ritchie et Jason Statham, Quentin Tarantino et Uma Thurman, Cédric Klapisch et Romain Duris, les frères Coen et Steve Buscemi, John Carpenter et Kurt Russel, etc. Le compagnon de Vanessa Paradis fait parti de ceux-là. Un acteur qui se surpasse entre les mains de son marionnettiste... Cependant, Johnny Depp, en proie à une grande inventivité, est par ailleurs condamné aux rôles lunatiques qui ne vieillissent jamais. Un art dans lequel il excelle, mais dont les nuances commencent étonnamment à être prévisibles : mimiques des lèvres, déplacement saccadé dans l’espace, jeux de mains, … Malgré tout, l’acteur propose un personnage tourmenté, enfermé dans le ralenti et dont les sourcils restent éternellement affaissés. Une sorte de best-of de ses personnages d’antan pour notre plus grand plaisir, d’où s’extirpe une violence infantile et introvertie.
Enfin, le traitement de l’histoire en comédie musicale est affaire de goûts et se discute indéfiniment. Si l’objet est singulier (une comédie musicale sanglante), certains spectateurs peuvent néanmoins regretter le répertoire utilisé. La chanson narrant le pacte entre le barbier et sa maîtresse est d’un humour noir saisissant, remportant facilement l’unanimité. Pour le reste, les nombreuses cassures de rythmes, la longueur des interprétations et la lourde orchestration (64 musiciens) ne rendent pas immédiatement assimilables les mélodies. Difficile donc de chanter avec les protagonistes ou d’en ressortir avec une des chansons en tête. Ce qui, en soit, est normalement une des missions d’une comédie musicale…
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