Des Francofolies à Bourges : le Pont des arts
« Ma petite entreprise connaît pas la crise » ? Faut croire. Producteur de contenu audiovisuel, investisseur, président des Francofolies et, désormais, du Printemps de Bourges... Gérard Pont a de quoi faire rougir Bashung. Portrait d’un « self-made man » breton parti de peu.
Seules notes de couleur dans ses bureaux de Neuilly-sur-Seine : une peinture de Jean-Louis Foulquier (fondateur des Francofolies), deux fauteuils de son émission « Jusqu’ici tout va bien » (arrêtée fin 2013), quelques DVD qu'il a réalisés... Ambiance monacale, donc, où prédomine le blanc. Beaucoup de choses ont été écrites sur Gérard. Cravate oubliée, gueule mal rasée, bavard aux dents serrées et son éternel avis - à la désarmante sincérité - sans passer pour un donneur de leçons… Sauf peut-être son insatiable besoin de bouger (« Je ne me suis jamais ennuyé au travail », attaque-t-il d'entrée). Hier sur un tournage TV, demain à une soirée de couturier, après-demain à La Réunion pour découvrir un groupe, le smartphone sans cesse à la main… En suractivité, le Gégé ? « Non, juste bien entouré », répond-il amusé.
Une vie bien éloignée de son premier métier, libraire à Rennes, qu’il ne regrette pas : « On porte surtout des livres, plus que l’on ne lit ». De ses 7 années enfermé dans un 300 m2, n’en reste qu’une passion pour les archives, le rendant capable de lire 4 biographies et fouiller pendant 6 mois les archives de l’INA dans le cadre d’un futur documentaire sur Nana Mouskouri.
APPRENTISSAGE/ Enfant, son envie de télévision vient avec l’humoriste Roger Nicolas qu'il regarde sur l'ORTF, tout en ayant conscience que « ce monde était inaccessible ». Sa mère fait le ménage chez des professeurs qui conseillent pour son fils Sup de Co à Brest. Contraste : sur la photo, Gérard est l’un des seuls chevelus dans la rangée de costards. Premier concert organisé ? Dick Annegarn. Premiers émois : le festival Rockilde au Danemark, le groupe The Clash à Londres… Il travaille ensuite aux Transmusicales de 79 à 84 (« Une époque où le rock n’est pas encore institutionnalisé »), en parallèle de ses propres événements (Elixir / Rockscène où sont programmés Leonard Cohen, Depeche Mode, Nina Hagen…). Ce n'est alors qu'un gosse de 22 ans, lancé tôt dans la bataille et connaissant déjà quelques échecs financiers qu’il payera longtemps. Puis s’enchaînent : festival d’Avignon, animateur à France 3, communiquant chez Relais H (le présentoir-support devant la caisse, c’est lui)… En 91, Gérard arrive à Paris : il a 34 ans.
ENTREPRENEUR/ Il fonde l’année suivante Morgane Production (« née de la mer », en breton) : documentaire « Carnets de Voyage » oscarisé en 2005, « Ça balance à Paris » sur Paris Première, « La Maison préférée des Français » sur France 2... Aujourd’hui, le groupe emploie 120 salariés et plus de 1 000 intermittents à travers 13 filiales. « Au moins, plus l’entreprise grandit, moins je cumule ! », s’amuse Gérard, s’étonnant malgré tout que l’on veuille le vouvoyer ou l’appeler « monsieur ». Pour autant, le producteur rappelle qu'au sein de son entreprise « personne n’est dans l’hystérie. Ça travaille », citant en référence d’autres patrons de la péninsule de l’Ouest : « Des solides… avec le sens de la fête ! »
FRANCOFOLIES/ 2004, Jean-Louis Foulquier, avec qui il participe à l’émission « Captain Café » sur France 3, lui propose la reprise du festival. « Il avait reçu une proposition du groupe Geneviève Lethu (ndla : société spécialisé dans les arts de la table), mais voulait quelqu’un qui s’y connaisse. » Choc au rachat : les artistes sont persuadés que le festival, dans les mains d’un producteur audiovisuel, va « se transformer en Star Academy ». Au contraire : de 4, les scènes passent à 8 avec, cette année, 29 000 billets vendus début mars, contre 8 900 en 2013. Opération de valorisation de la chanson en milieu scolaire, créations audiovisuelles avec des étudiants, sortie d’un ouvrage pédagogique, animations autour des plaisirs de la bouche… La marque vit désormais toute l’année. « Foulquier m’avait dit : aut que tu tiennes 10 ans ! ». 2014 ? J’ai tenu parole », précise fièrement Gérard, également lucide sur le fait « qu'au sein des festivals, on se souvient davantage des fondateurs… ».
PRINTEMPS DE BOURGES/ De son côté, le festival berrurier, reboosté en 98 en supprimant la variété, est revenu à ses fondamentaux de 77. Il culmine désormais 5 millions de budget, dont 1/3 de subventions, et se permet de refuser l’offre de Live Nation au profit de Morgane Production. Essentiellement pour « une question d‘image », résume Gérard. Rassurant tout de suite : « personne ne décrochera le téléphone en disant : Morgane Prod-Francos-Bourges, bonjour ? ». Mieux : le but étant de pérenniser les entreprises, plutôt que de fondre les identités. Les deux structures auront donc leur propre directeur (« qui ne seront pas des marionnettes ! »).
AVENIR/ En devenant président des deux festivals, Gérard affirme qu’il « ne prend pas de recul, mais bien de la hauteur ». Et la retraite ? « Je vois souvent, autour de moi, le passage brutal de la surénergie à… rien. Je ne le souhaite pas (si mon corps suit, en tout cas). » Alors quoi ? « J’entrevois encore 10 ans d’activité forte », conclue-t-il. « Pour le reste, c’est déjà exceptionnel d’être payé pour ce que j’aime. »
> Rencontre Daniel Colling / Gérard Pont
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