Julien Barthelemy (Stupeflip) : « Je ne sais pas si je pourrai continuer… »
Le CROU ? C’est lui. Surtout. Après 4 ans d’absence et une place sur le podium mondial de la plus grosse levée de fond numérique, son avatar King Ju revient le 3 mars avec un disque enregistré dans sa chambre. À défaut des clés du mystère en chocolat, l’artiste a accepté en [EXCLU] de donner celles du prochain Stup Virus.
À force de se raconter à travers vos morceaux, on se demande pourquoi encore accepter de réaliser des interviews… En particulier avec le titre “1993“ qui raconte pour la première fois l’origine du groupe et notamment son nom.
Bien sûr que tout est vrai et que tout a été dit ! Même dans l’attitude, la façon de répondre aux journalistes. “1993“ est un morceau de Cadillac. Bon, je ne voulais pas que les Stups se replient sur eux. J’en ai marre de mettre mes tripes sur la table... Je voulais juste continuer à gueuler comme Onyx ou les Beasties Boys… Mais je sais que ça va plaire et je l’ai fait pour lui… (Je me contredis tout le temps, mais c’est parce qu’il n’existe pas de vérité. Juste des nuances.) Le premier titre “Stupeflip“, c’est lui qui m’a enregistré. Puis, je lui ai dit « Pourquoi tu ne dirais pas “T’as pas compris ?“ sur les chœurs ? », comme un duo. Ca ne me dérange pas que le Stup paraisse pour tentaculaire, mais effectivement tout est de moi. Bref, ça a commencé comme ça…
Surtout, à cette époque, je revenais des États-Unis, où j’avais vécu comme un clodo, pile à l’explosion du Wu-Tang. Pour moi, le rock était mort avec la fin des Pixies et de Nirvana. Les rappeurs étaient devenus les nouveaux héros. Nous, on voulait seulement ne pas être dans une réalité humaine et rejeter les étiquettes.
Quel fut le leitmotiv de Stup Virus ?
Que chaque chanson tue ? Ha ha. Non, je ne voulais plus d’épopée... Seulement des sons parlant d’eux-mêmes, du freestyle plutôt que des histoires. Être dans la forme, les onomatopées... La voix qui sert d’instrument... Quelques punchlines, hein, mais à la Bobby Lapointe.
Sauf peut-être, OK, sur le titre “Understup“… C’est un peu le pendant de “Stupeflip vite !!!“ Ça parle de guerre et ça me tient à cœur. Comment peut-on encore tolérer ça dans nos sociétés pourtant civilisées ? Ça me dépasse… Moi, ça fait des années que j’ai le luxe d’être chez moi, mais tu sais, si on gueule avec Cadillac, c’est parce qu’il y a vraiment quelques chose de cassé au fond de nous... Comme Kurt Cobain, le public sait que nous ne trichons pas.
Attention, je ne suis pas un moraliste ! Le fait que le business et la politique soit un métier de killers (je tiens au mot) est un acquis. Tout le monde admet… “C’est un scaaandale !“ aurait dit Georges Marchais. Quand tu vois le milieu, comment veux-tu qu’à l’arrivée, ça soit bienveillant ? La solution : mettre un moraliste derrière chacun de ces types ? Ce serait fasciste. Et je ne parle pas de l’actuelle guerre en Syrie, hein. Mais des guerres depuis les Romains… Bon. J’essaie de rester positif malgré tout... L’aigreur sur Internet ne sert à rien. Les médias retiennent plus souvent de moi le « va te faire foutre » qui succédait au « je vous aime tous ». Il y a un internaute, l’autre jour, qui a dit « Stup, c’est pas une secte. King Ju est comme nous ». Ça m’a touché…
En parlant d’internautes, je suis toujours surpris de l’écho que le groupe a auprès des adolescentes…
J’ai tout fait pour que ce soit un objet de fantasme ! Cela fait 17 ans que je produis 5 sons par jour... Et Stupeflip couvre quasiment trois générations ! Les filles aiment bien parce que je suis sale dehors et gentil à l’intérieur… Mais je veux d’abord que ce fantasme fonctionne par rapport aux sons et non au fond… (comme par exemple le rythme africain sur “La seule alternative“) Le CROU, ce n’est pas moi. C’est une projection de l’inconscient. C’est l’excroissance de ce qui est craché par le soleil et certainement pas des êtres humains qui sortent des disques ! Seulement une utopie…
À BMG, on m’avait dit que j’étais un utopiste, un idéologue... On me l’a d’ailleurs souvent dit... Putain ! Mais ce sont eux qui merdent ! Ce jugement, c’est déjà la preuve d’un renoncement... Ils ne laissent aucune porte ouverte, ces types-là. Moi, j’ai vraiment envie de créer un mouvement de la bisounourserie. Et ce n’est pas de la naïveté. Juste un besoin d’amour… Si on gueule, c’est parce que notre souci, c’est la brutalité. Or, le hardcore est un défouloir artistique qui permet justement de ne pas être violent dans la vie.
À se demander pourquoi tu continues la musique. Car si l’exercice peut être un exutoire, c’est aussi s’exposer à l’évaluation…
La brutalité du business est dingue ! C’est un rapport de force permanent... Je ne sais pas si je pourrai continuer… (D’autant que j’ai un autre projet lié au dessin) Stup, c’est très politique. Bon, sans être Keny Arkana non plus, hein... Mais on tacle la connerie (et non les gens qui ont plein de thunes). Enfin… Je dis politique : je devrai dire “philosophique“ ! Puis, je m’enfou, moi, d’la thune. L’argent ne tombe pas dans mes poches pour l’instant, mais dans celles de mon manager. Et on a lancé beaucoup de choses qui coûtent cher… C’est pour ça que je suis extrêmement gêné par cette publicité autour du CROUfunding. Mes parents m’ont élevé en me tapant sur les doigts quand je me mettais en avant. Attention, je n’ai pas honte des gens ! Mais de la somme...
Et puis, dans le milieu de la musique, tout le monde veut se faire mousser... On se sent l’obligation de donner des conseils, de dire que c’est grâce à lui que telle ou telle chose s’est faite. Moi, je m’en sors parce que je n’écoute pas. Je fais ça tout seul ! Je ne vais même jamais en PUTAIN de vacances. Je n’ai qu’un, voire pas du tout, d’intermédiaire... Et c’est ça – le public le sait –, ma différence « éthique » avec les autres artistes.
En écoutant le premier single, “The Antidote“, toute votre mythologie (vocabulaire, personnages…) est déjà en place. Comme un AC/DC, dont on connaît déjà la recette, mais que l’on prend plaisir à écouter la nouvelle réinterprétation…
Ah oui ? OK, c’est cool... Pour ce morceau, il y a 70h d’écoute non-stop ! J’ai en stock près de 600 sons pour que des titres comme ça ressortent. (Rien que trouver l’idée de faire chanter Pop Hip depuis l’enfer m’a pris 3 ans) C’est par contre la première fois que je fais du radio friendly et que j’écris en majeur… Il y a des types qui disaient qu’elle avait moins de fond… Je suis d’accord ! C’était le but : jouer sur les consonances à la… Akhenaton. Faire un refrain gniangnian – si si ! – pour que cela reste dans la tête. Je veux qu’à la première seconde, ça fasse « Wouah ! ». Mais que les gens se rassurent : c’est la chanson la plus positive de l’album… Je tenais aussi, en fil rouge de l’album, qu’il y ait cette voix synthétique de femme (Ok, c’est Google traduction…). Cette fausse et douce porte-parole qui pète un plomb à la fin... Et puis, une femme, c’était important (c’est aussi pour ça que ma nièce Colette y fait un featuring). Pour changer. Pour calmer les haters aussi ! D’ailleurs, les femmes pourraient changer le monde. Pourquoi ne le font-elles pas, hein ? Elles nous sont supérieures en tout : intelligence, charme, études…
Voilà. Nous ne sommes plus des gamins gueulards. Je vais avoir 50 ans ! Je suis juste devenu un lucide indépendant. C’est le problème des autres, les fils de bonne famille, là. Ils n’ont pas la gniac… Comment pourraient-ils ? Moi, je n’ai jamais eu d’avocat à moi, contrairement… aux Bérurier noir. Les intérêts personnels ? Allez vous faire foutre !
Version intégrale.
Article initialement prévu dans Les Inrocks
> Envers du miroir : interview de King Ju